Note d'information de l'ESA
Nº 21-95 - Paris, le 7 octobre 1995 [ English Version ]

ISO, Explorateur unique de l'univers invisible et froid

ISO, Explorateur unique de l'univers invisible et froid est prêt à s'envoler. Ce sera en principe le 8 novembre. Dans le ciel de Kourou, propulsé par Ariane, s'élèvera un satellite très attendu des astronomes du monde entier : ISO, l'Infrared Space Observatory, premier véritable observatoire spatial infrarouge, construit et lancé sous la responsabilité de l'ESA. L'engin aura pour tâche de pointer longuement les sources célestes et de les étudier avec une sensibilité et une précision inégalées. Il les observera dans la lumière invisible et froide de l'infrarouge, un rayonnement encore très largement inexploré. Ainsi, une vision entièrement renouvelée de l'Univers sera acquise. Des planètes proches aux quasars les plus lointains, en passant par la formation des étoiles, la matière noire cosmologique et les galaxies sur-brillantes: les répercussions sur la connaissance devraient être importantes et significatives dans de nombreux domaines de l'astrophysique.

"Le lancement du télescope spatial ISO va consacrer l'aboutissement de douze années d'efforts intenses déployés pour mettre au point cet instrument d'une puissance et d'une précision inégalées", déclare Roger Bonnet, directeur du programme scientifique de l'ESA. "Gageons que celui-ci permettra en retour à l'astronomie européenne, et mondiale, d'effectuer une incursion sans précédent dans l'Univers particulièrement riche et fécond que recèle le ciel infrarouge."

Car c'est bien une nouvelle étape que l'astronomie s'apprête à franchir. Jusqu'ici en effet, l'observation infrarouge s'est toujours heurtée à un double obstacle.

D'abord, le rayonnement infrarouge est de nature thermique, calorifique. Autrement dit, tout corps non absolument froid émet naturellement ce type de "chaleur rayonnante" ou de "chaleur obscure". Conséquence: aux longueurs d'ondes correspondantes, tous les télescopes, les détecteurs et l'atmosphère terrestre paraissent briller spontanément... Observer le rayonnement infrarouge est équivalent à essayer d'observer les étoiles en plein jour avec un télescope un million de fois plus lumineux que les astres visés!

En outre, l'atmosphère est partiellement ou totalement opaque à la lumière infrarouge. Il est donc très tentant d'observer depuis l'espace, au-dessus des couches d'air terrestre et avec un télescope maintenu à très basse température.

Le premier, et le seul, satellite astronomique infrarouge à avoir été lancé en orbite à ce jour est l'InfraRed Astronomical Satellite (IRAS) britannico-néerlando-américain qui a cartographié et inventorié le ciel pendant dix mois en 1983. Un premier coin de voile était ainsi levé. La scène est découverte mais il reste à regarder chaque personnage, chaque objet.

Pour cela, l'astronomie infrarouge se heurte à un autre handicap majeur : la détection même de la lumière. Bien que le rayonnement infrarouge fût découvert en 1800 (dans le spectre solaire), il a fallu attendre la Seconde Guerre mondiale pour qu'apparaissent des capteurs photoélectriques sensibles à ces longueurs d'ondes. Et IRAS lui-même était dépourvu des matrices multi-dimensionnelles qui lui auraient permis d'enregistrer de véritables images : il construisait les siennes point par point, ligne par ligne.

Aussi, l'un des grands apports d'ISO sera d'embarquer pour la première fois dans l'espace de telles mosaïques de détecteurs, qu'on peut comparer aux dispositifs optiques DTC utilisés dans les caméras vidéo électroniques grand-public. Ainsi équipé, l'observatoire orbital pourra enregistrer de très longues poses photographiques. Il pourra prendre des images de ciel très "fouillées" et très "détaillées". Il pourra observer une même cible jusqu'à dix heures de suite avec une sensibilité mille fois plus élevée et une résolution dix fois supérieure à celles que fournissait IRAS !

"Sa sensibilité au rayonnement thermique et la finesse de ses images devraient permettre à ISO de déceler à cent kilomètres de distance un objet à température de la glace et de la taille d'un homme", assurent les responsables du programme.

Bien évidemment, la réalisation technique et la technologie d'un instrument aussi innovant et aussi performant n'ont pas été sans poser d'énormes difficultés. "C'est la première fois qu'un satellite de ce type est construit en Europe, et ce travail a mobilisé les efforts de pas moins de trente-cinq firmes hautement spécialisées", déclare le responsable du programme pour l'ESA, Hans Steinz. Le défi a avant tout résidé dans le développement des systèmes de réfrigération cryogéniques qui, aujourd'hui, donnent à ISO l'apparence d'une énorme bouteille thermos remplie de 2 100 litres d'hélium superfluide à -271°C de température (1,8 degré absolu).

Autre défi: le miroir ultraléger du télescope, en quartz plaqué-or. Les qualités de polissage requises pour cette pièce optique maîtresse sont telles que, si son diamètre de 60 centimètres se trouvait artificiellement dilaté à la dimension de celui de la Terre, les "creux" et les "bosses" résiduels de la surface réflectrice ne dépasseraienpas un mètre de hauteur, soit la taille d'un enfant...

Le corollaire de ces multiples difficultés a été un retard de deux ans sur le calendrier de développement : un délai d'importance somme toute limité compte-tenu de l'envergure et de la complexité du projet.

Aujourd'hui tous les problèmes ont cependant été résolus. Les performances du satellite sont parfaitement conformes aux espérances et ISO se trouve depuis la fin juin au Centre spatial de Kourou où il subit l'ensemble des essais préparatoires au lancement.

L'engin se présente sous la forme d'un cylindre blanc de 3,5 mètres de diamètre et de 5,3 mètres de longueur. L'intérieur abrite le télescope proprement dit, les quatre instruments scientifiques, les ensembles électroniques, les alimentations de puissance et les systèmes de communication radio. Sur le côté, de larges panneaux solaires assurent la fourniture de 600 watts de puissance électrique et jouent un rôle de baffle protecteur contre le rayonnement solaire.

Le satellite est entièrement recouvert d'un isolant thermique de haute efficacité : si par le biais d'une opération tout à fait théorique on remplissait son cryostat d'eau bouillante au lieu d'hélium liquide, il faudrait six années à ISO pour qu'il revienne à température ambiante. Cette isolation est essentielle pour minimiser la sensibilité du télescope aux perturbations thermiques induites en orbite par le rayonnement solaire et celui de la Terre.

Les quatre instruments focaux montés derrière le miroir du télescope représentent le coeur scientifique du satellite. Cet ensemble instrumental construit par les chercheurs et industriels des Etats-membres de l'Agence offre la possibilité d'effectuer des mesures d'une sensibilité et d'une précision sans précédent sur une très grande gamme de longueurs d'ondes - de 2,5 à 250 microns- encore totalement inexplorées sur la portion 120-250 microns.

Le photomètre Isophot, réalisé sous la responsabilité de l'institut allemand Max Planck, est l'instrument le plus complet recouvrant la plus grande gamme de longueurs d'ondes. Aux très grandes longueurs d'ondes, qui n'ont encore jamais été détectées à ce jour, il devrait révéler des astres et de la matière cosmique extrêmement froids. Isophot mesure à la fois l'intensité de la lumière reçue, sa distribution spatiale ainsi que les composantes spectrales de la lumière infrarouge proche.

La caméra Isocam, placée sous la responsabilité du Service d'astrophysique de Saclay (France), photographiera le ciel entre 2,5 et 17 microns à l'aide de deux mosaïques de 1024 détecteurs individuels (32 x 32 pixels) chacune. Une vingtaine de filtres permettent de sélectionner différents domaines spectraux ("couleurs"), et quatre lentilles optiques offrent différentes possibilités d'agrandissements (de 1 à 8). La dimension du plus fin détail observable dans le ciel est de 1,5 à 12 seconde d'arc, soit un 1200e à un 150e fois le diamètre de la pleine Lune.

Les spectromètres SWS et LWS, sous la responsabilité respectivement du Laboratoire de recherche spatiale de Groningen (Pays-Bas) et du Queen Mary and Westfield College de Londres (Royaume-Uni), forment un ensemble unique qui analysera la composition spectrale du rayonnement de 2,5 à 200 microns. Ils permettront ainsi d'accèder à une gamme de phénomènes physiques extraordinairement étendue qui pourront être étudiés avec une très grande finesse et une très grande précision (pouvoir de résolution 50 à 30 000).

A Kourou, on procède actuellement aux ultimes tests électromécaniques, aux alignements des gyroscopes, à la fixation des protections thermiques, au remplissage en hélium et en carburant. Puis, ISO sera fixé au sommet de son lanceur Ariane 44P, et viendra l'heure du départ.

Le jour J est fixé au 8 novembre 1995 mais les possibilités de tir s'étendent en fait jusqu'au 21 février 1996. ISO sera placé par Ariane sur une orbite très allongée de 1000 km x 70 000 km qu'il parcourra en 24 heures. Cette trajectoire elliptique permet d'obtenir des données scientifiques de très haute qualité pendant les 16 heures par jour où le satellite se trouve àl'extérieur des ceintures de Van Allen dont les radiations induisent des signaux parasites impropres aux mesures.

Le contrôle au sol et la poursuite radio seront assurés par une centaine de spécialistes qui se relaieront 24 h sur 24 à la station de Villafranca de l'ESA près de Madrid, en Espagne. Dans le cadre de la collaboration internationale, des scientifiques japonais seront impliqués dans ces opérations. Par ailleurs, la station de Goldstone de la NASA, en Californie, relaiera les communications avec le satellite lorsque celui-ci ne sera pas visible au-dessus de l'Europe. Ainsi, une couverture totale de l'orbite pourra être assurée avec des liaisons temps-réel pendant 100 % des dix-huit mois de la mission.

Cent soixante-dix millions d'octets de données seront reçus chaque jour à Villafranca ce qui, au total sur la durée de la mission, représentera une quantité cumulée de 90 milliards d'éléments d'information : de quoi remplir un document dactylographié de dix millions de pages A4 lesquelles, jointes bout-à-bout, s'étendraient sur une distance de 7000 kilomètres, équivalente à la distance Paris-Miami.

Le programme d'observation scientifique est déjà surchargé. Avant même que le satellite soit entré en service, 60 000 propositions d'observation ont été soumises à l'ESA par les chercheurs européens, américains et japonais, ce qui représente en fait une demande d'utilisation quatre fois supérieure aux possibilités matérielles d'exploitation de la mission.

"Avec ISO, nous allons explorer un Univers caché et froid, inaccessible aux télescopes optiques classiques", explique Martin Kessler, le responsable scientifique du projet ISO à l'ESA. Ainsi les astronomes pourront observer des étoiles trop peu chaudes pour pouvoir être observées en lumière visible, ou bien des étoiles dissimulées derrière des rideaux de gaz et de poussières opaques que seule la lumière infrarouge parvient à traverser. "Ce sera le cas des étoiles jeunes et froides en formation entre les étoiles brillantes de la Galaxie. Leur étude intensive aidera àmieux comprendre le processus général de la genèse des étoiles et, donc, aussi ce que fût la naissance de notre propre Soleil."

Dans un premier temps, ISO portera son regard insolite et froid sur les planètes, les satellites, les astéroïdes et les comètes de notre Système Solaire. Notamment, il s'attardera sur le cas de Titan, l'intriguante lune brumeuse de Saturne qui doit être visitée en 2004 par la sonde Huygens de l'ESA. Les astronomes soupçonnent l'atmosphère de ce satellite d'être le siège d'une chimie organique complexe, peut-être similaire à celle qui a permis l'émergence de la vie sur Terre. ISO mesurera avec précision la composition de cette atmosphère. Il déterminera l'abondance des espèces chimiques minoritaires et les variations de ces abondances avec l'altitude, bien avant qu'Huygens ne puisse plonger physiquement dans l'enveloppe gazeuse de Titan et la sonder directement.

Le système planétaire qui entoure le Soleil a-t-il un équivalent dans la Galaxie ? Vaste question dont la réponse conditionne notamment toute possibilité de détecter des formes de vie extrasolaire. ISO tentera d'y répondre en recherchant des disques de poussières autour de plusieurs centaines d'étoiles variées, proches ou lointaines, jeunes ou évoluées. C'est au sein d'un de ces disques que les planètes du Soleil se sont formées, pense-t-on, et les observations d'IRAS ont, par ailleurs, révélé des structures similaires autour d'une dizaine d'étoiles proches, dont Véga et Bêta Pictoris. Avec une sensibilité mille fois supérieure, ISO devrait dénombrer davantage de ces disques encore. Il étudiera leur masse, leur composition chimique, leurs dimensions et leur évolution au cours du temps. Ainsi les scientifiques obtiendront-ils de nouveaux renseignements sur les possibilités effectives de formation - et d'existence même - de corps planétoïdes autour des étoiles de la Voie lactée.

Autres cibles de choix pour ISO : les galaxies extérieures dont les astronomes espèrent mieux comprendre comment elles se forment et fabriquent leurs étoiles. Les observations se concentreront en particulier sur une catégorie d'objets intriguants : les galaxies ultralumineuses, qui émettent vingt fois plus de rayonnement en infrarouge qu'en lumière visible et dispensent au total dix fois plus d'énergie qu'une galaxie ordinaire ! La source d'énergie qui alimente ces phares cosmiques reste aujourd'hui inconnue : trou noir géant ou brusque flambée de formation d'étoiles ? En examinant en détail la lumière émise par ces astres, ISO permettra de tester les deux modèles en concurrence et, peut-être ainsi, de favoriser l'un d'entre eux.

ISO passera aussi plus d'une centaine d'heures à traquer la fameuse et mystérieuse matière noire de l'Univers. Détectée par des méthodes indirectes, cette matière "obscure" semble constituer 90 à 99 % de la masse de l'Univers mais a toujours obstinément refusé de se laisser observer en lumière visible. Conséquence, sa composition et sa nature physique demeurent totalement inconnues. ISO tentera de détecter cette matière noire en rayonnement infrarouge là où l'on a le plus chance d'observer les étoiles dites "naines brunes" de notre Galaxie ou bien les nuages d'hydrogène moléculaire froid supposés occuper la périphérie des galaxies externes. Ainsi ISO pourrat-il contribuer de façon décisive au débat concernant la composition et la masse totale de l'Univers.

Enfin, parce qu'il capte des rayonnements des très grandes longueurs d'ondes jusque-là inobservés, ISO représente une fantastique machine à remonter le temps. Grâce à sa grande sensibilité, ISO observera des objets de plus en plus éloignés, qui existaient à des périodes de plus en plus reculées, et dont la lumière nous parvient décalée vers le rouge et l'infrarouge en raison de l'expansion de l'Univers.

Les astronomes espèrent ainsi pouvoir accéder aux limites de l'espace observable, à des galaxies qui brillaient il y a près de huit milliards d'années, lorsque l'Univers n'avait que le tiers de son âge actuel ! Si de tels astres ont réellement existé, alors ce pourrait être les tout premiers formés dans l'Univers et les plus lointains ancêtres identifiables de notre propre Galaxie.

Note: L'Observatoire spatial infrarouge ISO est un projet conduit depuis 1983 par l'Agence spatiale européenne (ESA) dans le cadre de son programme scientifique Horizon 2000. Il représente un investissement de 650 millions d'ECU, ce qui couvre la réalisation du satellite, le lancement et l'exploitation en orbite. Les instruments scientifiques ont été fournis séparément par un groupe de onze pays européens. La NASA et le Japon collaboreront aux opérations au sol en échange du droit d'utiliser le télescope.